André Benchetrit : Entretien


© Jeanne Saint-Julien

Une bande dessinée sans cadre,
entretien avec André Benchetrit réalisé en décembre 2005 à Paris.


Trois romans, trois éditeurs différents, P.O.L., Actes Sud et Léo Scheer, êtes-vous à ce point incontrôlable ?

Ce n’est pas une histoire de contrôle. J’écris un livre et le suivant ne plaît pas à l’éditeur, donc je cherche un autre éditeur, c’est très simple. Dans l’édition, on n’est pas aujourd’hui avec la même logique qu’il y a une vingtaine d’années où un éditeur prenait en même temps un auteur et son œuvre. Aujourd’hui, l’éditeur fait lui aussi une œuvre qui est constituée de fragments d’œuvres d’auteurs. Ce n’est pas seulement une conception idéologique, ça tient compte aussi de la situation du marché de l’édition.

Léo Scheer a-t-il lu le prochain ?

Mon éditeur c’était Jean-Paul Curnier et il est parti.

Au printemps 2003, la revue belge Pylône a également publié des extraits de Très-Grande Surface dans son premier numéro, en quoi montrer un travail en cours ne vous gêne-t-il pas ?

Quand Pylône a publié un extrait de Très-Grande Surface, le livre était terminé depuis quelques mois déjà. Lorsque j’ai commencé à le montrer, j’ai balisé car je me suis rendu compte qu’aucun éditeur n’en voulait - Jean-Paul Curnier ne l’avait pas encore eu entre les mains - et quand la revue en a publié un bout, je me suis dit : « Je m’en fous : il y en aura au moins un bout qui sortira ! »

Quel est l’intérêt pour l’écrivain de publier en revue ?

Une revue, c’est un espace et un lieu de rencontres. Chacun y va avec une question qu’il a sur le moment. J’ai commencé en décembre 2004 Le Bord de la Terre. Et des extraits ont été publiés dans Le Nouveau Recueil pour les vingt ans de la revue. Jean-Michel Maulpoix a demandé à des auteurs s’ils voulaient participer avec des textes montrant un travail en train de se faire. J’ai montré des bouts que j’avais à ce moment-là, lesquels ne sont plus les bouts qu’il y a aujourd’hui.

Pourquoi était-ce si difficile de trouver un éditeur pour Très-Grande Surface ?

Je l’ai montré à un certain nombre d’éditeurs et à d’excellents lecteurs qui ont été totalement décontenancés, largués. J’ai pris acte de ces refus. On m’a dit qu’il n’y avait pas de lecteurs pour un livre comme ça. Ou bien que c’était un texte trop limite… Yves Pagès m’a adressé une lettre de refus, la plus sympathique que j’ai jamais reçue. C’était très décontenançant à cause de la structure. Pourquoi est-ce que j’appelais ça roman ? Mais quand Jean-Paul Curnier l’a eu entre les mains, ça ne faisait aucun doute pour lui que ce livre était à publier, à défendre. Il anticipait même la mise en page.

Est-ce lui qui a eu l’idée des lignes non justifiées à droite ?

Non, j’avais l’idée de cette mise en page, mais je n’ai pas eu à la défendre. Pour lui, c’était exactement ce qu’il fallait car ça imposait un rythme de lecture. Ce n’est pas une mise « en drapeau » étudiée mais aléatoire. La seule question concernait la largeur de ligne nécessaire pour donner un rythme de lecture et des coupures qui tombent naturellement.
Jean-Paul Curnier a aussi eu un travail d’inter-prétation. C’est quand même ça le rôle de l’éditeur ! Quand il l’a défini comme : « Le roman des marchandises, un voyage dans la vie intime des marchandises, tout se met à parler ». Pour moi, c’était très surprenant parce que j’ai écrit Très-Grande Surface en me mettant à la place des marchandises et des choses. J’étais une conscience habitant les choses, les traversant et j’étais trop collé pour savoir que j’écrivais un roman dans lequel c’étaient les choses qui parlaient et non pas moi à l’intérieur d’elles. Quand il m’a renvoyé ça, je me suis dit que c’était ça que j’avais fait, et dont je pouvais, grâce à lui, me séparer.

(...)

Retrouvez la suite de cet entretien (6 pages) en commandant le n°26 de La Femelle du Requin !