Antonio Muñoz Molina
Présentation Antonio Muñoz Molina est né à Úbeda, petite ville de la province de Jaén (Andalousie), en 1956. Cette localité où il passe son enfance et son adolescence lui offrira, en partie, le décor de « la capitale de son imagination littéraire », Mágina, que l’on retrouve dans plusieurs de ses romans. Dans la grisaille des dernières années du franquisme, il rêve d’évasion comme Manuel, le protagoniste principal du Royaume des voix : la musique et les livres lui permettant de franchir l’horizon délimité par la vallée du Guadalquivir et la Sierra de Mágina. Il se forge sa propre tradition par les lectures les plus diverses : Cervantes, Borges, Juan Carlos Onetti, Graham Green, Proust, Flaubert, Joyce, Simenon, Faulkner… Il « trace un plan de son désir », selon les mots de García Lorca et, sur la route de cette « haute ambition » poursuivie par Jacinto Solana dans Beatus Ille, il publie ses premiers articles ainsi que ses premières fictions alors qu’il travaille comme fonctionnaire de la Ville de Grenade. C’est dans cette période où l’auteur avoue avoir préféré la littérature à la vie qu’il écrit Beatus Ille, L’Hiver à Lisbonne et Beltenebros, trois romans empreints de références culturelles (jazz, cinéma, roman noir américain ou d’espionnage…) où des personnages fiévreux évoluent dans des atmosphères nocturnes en quête d’une identité. En 1991, apparaît Le Royaume des voix qui représente une sorte de tournant dans la production de l’auteur dont le propos est alors de faire de la littérature à partir de la vie. Ceci va se traduire par une augmentation d’éléments autobiographiques, une ouverture sur la vie des autres, sur la réalité. À la manière du Proust de La Recherche du temps perdu, il transforme son expérience personnelle pour un hymne à la mémoire, un témoignage sur une société qui disparaît. Cette démarche le conduit, alors qu’il ressent de façon aiguë la fragilité des entreprises humaines et de sa propre présence dans le monde, à faire entendre, à côté de sa voix, celles des autres, à redonner la parole niée, sauver de l’oubli les existences obscures. Ainsi Séfarade, son dernier roman traduit, semble-t-il, l’aboutissement superbement maîtrisé de ce dessein. Parallèlement, il développe l’humour et le fantastique dans ses nouvelles, articles ou romans courts (Carlota Fainberg). Si Muñoz Molina se tourne souvent vers le passé, celui-ci s’inscrit toujours dans le présent. Jamais nostalgique, il propose une récupération critique de l’histoire, affiche l’influence d’une certaine tradition progressiste et rationaliste, et revendique la position d’un écrivain citoyen prônant la tolérance et l’idée du savoir libérateur. Tout au long de son parcours littéraire, il n’oublie jamais de raconter une histoire, conscient qu’il s’agit avant tout de captiver le lecteur, de transmettre des émotions, il apparaît également animé par la passion de l’observation, le respect pour tous les êtres et l’idée que toute vie est un roman. Bibliographie 1986 Beatus Ille (Beatus Ille, 1989) 1987 El Invierno en Lisboa (L’Hiver à Lisbonne, 1991, 2001) 1989 Beltenebros (Beltenebros, 1991) 1991 El Jinete polaco (Le Royaume des voix, 1994, 2000) 1992 Los Misterios de Madrid (Les Mystères de Madrid, 1993) 1993 Nada del otro mundo (Rien d’extraordinaire, 2000) 1994 El Dueño del secreto (Le Sceau du secret, 1995) 1995 Ardor guerrero (Une ardeur guerrière, 1999) 1997 Plenilunio (Pleine lune, 1998) 1999 Carlota Fainberg (Carlota Fainberg, 2001) 2001 Sefarad (Séfarade, 2003) Résumés En 1969, le jeune Minaya
se rend à Mágina, petite
ville andalouse, sur les traces de la vie et de l’œuvre
de Jacinto Solana, un écrivain républicain oublié de
la période de la Guerre Civile, victime de la répression
franquiste. Il s’installe chez son oncle Manuel qui fut le
meilleur ami de Solana, y rencontre différents personnages
qui ont connu celui-ci et qui vont s’adonner à l’exercice
traumatisant du souvenir. À la poursuite d’écrits
fantômes, Minaya avance dans l’obscurité du temps,
s’englue dans le mystère de la grande maison labyrinthique
fait d’amour et de mort, d’idéaux et de trahisons.
Ses recherches l’amèneront à découvrir
le secret de la disparition, un matin de 1937, de Mariana, la femme
de Manuel, belle comme la République sacrifiée. L’Hiver à Lisbonne (1987 - 1991, 2001) Dans une chambre d’hôtel aux rideaux tirés, Santiago Biralbo, pianiste de jazz, raconte à son ami l’histoire de son amour impossible avec Lucrecia, femme fantôme condamnée à la fuite vers ces lieux où il lui faut « arriver pour la première fois » pour ne pas être rattrapée. Comment leurs destins se croisèrent sur l’écran noir des rues de Saint-Sébastien, Lisbonne, Madrid ; lui brûlant sa vie entre l’attente et la musique, elle entre un passé trop lourd et la mélancolie de la contemplation d’un tableau qui « rendait le monde habitable et qui n’était pas de ce monde ». Amants de la nuit, familiers de l’heure bleue, ils sont traqués sur les paysages irréels d’un bout d’Europe à l’éclairage blafard par des trafiquants internationaux. Dans cet hommage aux films noirs américains, les références culturelles s’entremêlent : jazz, peinture de Cézanne, course-poursuite cinématographiques… et estompent les frontières entre réel et fiction, présent et souvenirs. (C. C. ; L. R.) « Je suis venu à Madrid pour tuer un homme que je n’avais jamais vu » annonce le capitaine Darman, bras armé de la lutte anti-franquiste qui reprend du métier après vingt ans de retraite pour se retrouver sur les traces de son passé : le traître, Andrade, qu’il doit abattre et la fille qui le protège le renvoient à la chasse d’un autre traître, Walter, amoureux d’une femme, Rebeca Osorio, dont le visage égaré dans les tréfonds du souvenir resurgit étrangement. Le roman, comme son titre l’indique, porte la marque des ténèbres qui souillent amours et âmes. Règlements de compte, agents troubles, hallucinations temporelles dans le monde de la clandestinité, univers fantasmagorique et interlope aux ombres nyctalopes, Beltenebros oscille entre folie et cécité, reflet et réalité, oubli et traque pour un voyage au bout de la nuit que chacun porte en soi, nuit de salles obscures et d’écrans sacrés où la vie trouve « son double, son image inaccessible, uniquement faite de mémoire et de lumières projetées, sculptée dans l’air comme les formes fugitives du feu ». (C. C. ; L. R.) Les Mystères de Madrid (1992 - 1993) Lorencito Quesada est un petit employé de Mágina.
Il rêve de devenir journaliste. Une statue religieuse, Le Divin
Christ à la Tignasse disparaît : on lui propose de se
lancer à sa recherche. Et le voilà, lui qui vit toujours
avec sa dévote mère, plongé dans la Movida Madrilène
des années 80, celles du fric et des frasques de la jet-set,
des promoteurs et des spéculateurs. Le lecteur suit les mésaventures,
publiées à l’époque en feuilleton dans
un journal, de Lorencito, perdu dans cet univers de délinquance,
de sexe et de corruption où tout s’achète, même
les choses saintes (« quinze centimètres d’intestin » du
Pape, le « saint prépuce ») ; où l’on
bâtit une collection d’objets rares pour parachever
sa fortune. Rien d’extraordinaire (1993 - 2000) Rien d’extraordinaire ? Peut-être, mais aussi, si l’on
se réfère au titre espagnol, un peu de l’autre
monde. Celui des risibles et terrifiantes existences, du fantastique
qui imprègne le temps, l’espace et les mensonges du
quotidien. Extraordinaires nouvelles sur des vies ordinaires : vies
mesquines où les petites lâchetés tuent en reproduisant
malgré elles les gestes sacrificiels ; amitié, amour,
imposture et anonymat… Rien d’extraordinaire, non, mais
ce qui fait de la vie du plus terne et plus pleutre d’entre
nous un monde entier, entre fureur et débris, quand « la
nuit se retirait comme une marée furieuse qui aurait laissé derrière
elle un ramassis de déchets ». Quand la réalité est
ce qu’il y a de plus dur à voir, l’autre est toujours
un inconnu : que faire des spectres du petit matin, des morts-vivants
qui apparaissent dans le journal ou au détour d’une
rue ? Pour qui sonnent ces téléphones nocturnes
dans ces appartements vides ? Le Sceau du secret (1994 - 1995) 1974 : le franquisme agonise mais personne
n’ose encore l’imaginer.
Un jeune homme quitte son village pour aller étudier le journalisme à Madrid.
Sa vie grise d’étudiant, faite de frustrations, se voit
bouleversée par la rencontre avec Ataúlfo Ramiro, étrange
personnage qui lui propose de participer à une conspiration
destinée à renverser le régime. Comment conserver
un tel secret, dans la fièvre de l’excitation, quand
on se retrouve soudain acteur de l’Histoire ? Le confier à son
meilleur ami ne devrait pas porter à conséquence… Le
protagoniste, rongé par le doute et le remords, se souvient
de cette période dix-neuf ans après les événements,
se considérant responsable de l’échec du
complot. Molina se laisse guider par la « remémoration » pour dire ce que fut son service militaire commencé à l’automne 1979, près de San Sebastián. Tu seras un homme mon fils, c’est-à-dire que tu perdras ton identité pour devenir un numéro, J-54, tu seras sale, infantilisé, discipliné ou brisé, brimé ou planqué, employé par une armée aux relents franquistes à d’ineptes tâches kafkaïennes (la tenue des comptes des cuisines, où l’employé aux écritures est amené à inventer les quantités comme les prix de chaque denrée, le nombre de soldats présents aux repas, voire même « comme présents »). Univers machiste où le haschisch et l’alcool parachèvent l’entrée dans l’âge d’homme. Sans cynisme ni nostalgie, Molina dresse un portrait caustique et bouleversant de ce qu’il était : un jeune homme habité par les livres, effrayé par les hommes, pour glisser dans l’univers de la fiction (un dossier secret est rédigé contre lui). Et s’interroge sur la fragilité du destin, qui brise une vie, qui dresse une tête : celle de Molina passé de la soumission à la rébellion grâce à l’écriture. (L. R.) Emoi dans une petite ville de province
: une fillette a été assassinée.
Un inspecteur récemment muté de Bilbao prend l’affaire
en main, soutenu dans sa tâche obsessionnelle par le père
Orduña, un vieux prêtre rouge qu’il a connu du
temps de l’internat, par l’institutrice Susana Grey qui
se remet difficilement de son premier mariage et par le médecin
légiste Ferreras, réfugié dans l’étude
des corps qui ne mentent pas. Cette enquête fournira à l’ancien
alcoolique l’occasion de refaire sa vie mais pour cela il lui
faudra s’ouvrir aux autres. Carlota Fainberg (1999 - 2001) Aéroport de Pittsburgh, 1994. Claudio, universitaire espagnol « up
to date » et Marcelo, madrilène « jamón
jamón », sont coincés par la neige. Malgré une
gêne certaine, Claudio écoute l’histoire de l’hôtel
Town Hall de Buenos Aires et de la femme vampire nymphomane qui y
vivait en 1989, Carlota Fainberg. Lors de son colloque Borgesien
dans la capitale argentine, Claudio perd ses illusions de chercheur
et le récit bascule dans le fantastique sans se départir
de son ton goguenard. Le Royaume des voix (1991 - 1994, 2000) Un couple invoque depuis une chambre
sombre et utérine de
New York les voix du passé qui ont forgé leur présent
et démêle les fils du destin qui a voulu le miracle
de leur rencontre. Séfarade (2001 - 2003) |