Le Parlement International des Écrivains

 

     Russell Banks est devenu en février 2001 le troisième Président du Parlement International des Ecrivains. Cette organisation, située au-dessus des allégeances nationales, religieuses et linguistiques, fut imaginée en 1993 pendant le Carrefour des Littératures de Strasbourg pour réagir aux assassinats d'écrivains en Algérie et créée le 27 juin 1994. Le Parlement a vu se succéder à la présidence Salman Rushdie (1994-1997) et Wole Soyinka (1997-2000). Le parcours de ce dernier, auteur originaire du Nigeria et opposant aux régimes militaires successifs de son pays, est exemplaire des situations que traversent nombre d'écrivains : emprisonné à plusieurs reprises, il est désormais inculpé pour trahison, une faute passible de la peine de mort au Nigeria. Dans le même temps, il obtenait le Prix Nobel de littérature en 1994. Son but, lors de sa présidence, consistait à obtenir plus de fonds et à attirer l'attention sur la situation emblématique de l'Algérie qui voyait ses intellectuels contraints au silence ou à l'exil. Le P.I.E. compte également dans ses rangs des auteurs et penseurs tels que Edouard Glissant, Pierre Bourdieu, Yachar Kemal, Toni Morrison, Jacques Derrida...

     Le Parlement, dont le siège se situe à Paris durant cette mandature, se donne pour but de soutenir les écrivains persécutés dans leur pays pour des motifs religieux (fondamentalistes musulmans ou chrétiens), ethniques, économiques (ce qui n'est pas populaire a de plus en plus de mal à être publié) ou des raisons d'État (Chine, Corée du Nord, Iran, certains pays en Amérique du Sud). L'écrivain est le premier visé, mais les chiffres n'en rendent pas compte, les atteintes à la liberté d'expression concernent à 80% des journalistes et non pas des écrivains… Pour ces derniers, c'est la liberté d'imagination qui est attaquée. Afin de dresser une carte fiable de la situation mondiale actuelle, un Observatoire de la liberté de création a vu le jour à Barcelone. La fiction menace le monde et le monde s'efforce de la conjurer depuis l'apparition du roman. Le langage est le premier amputé afin de réduire la diversité, annuler les possibilités d'interprétation et la prolifération d'univers pas toujours si fantaisistes (le cas des Utopies par exemple). Enfin, les personnes aidées appartiennent au milieu littéraire car il s'agit aussi de lutter contre l'empâtement des langues, le recours aux métaphores usées, à la paresse d'écriture, autant de signes qui témoignent d'un engourdissement des esprits.

     Pour effectuer cette mission, l'organisation a mis en place 27 "Villes Refuge" dans le monde, ainsi que trois régions, susceptibles d'accueillir les exilés. Là, pendant deux ans l'écrivain aidé (et sa famille s'il y a lieu) bénéficie d'un soutien matériel, d'une protection et de la possibilité de diffuser ses écrits, de résister à l'asphyxie culturelle dans laquelle les autorités de leur pays les contraignent. Des réponses concrètes sont apportées pour remédier au drame de l'exil. La ville verse 15000 Francs par an qui sont reversés à l'écrivain sous forme de bourse, elle a également en charge le logement à ses frais de cet "ambassadeur" et lui offre toutes les prestations municipales possibles. Les réseaux citadins créés défendent les écrivains et leurs œuvres en favorisant des rencontres, des lectures publiques, la traduction et la diffusion de leurs écrits. Pour ces raisons, le choix de recevoir un écrivain dans tel ou tel lieu obéit à des impératifs culturels : la ville hôte doit être à même de favoriser son nouvel épanouissement. En l'an 2000, on comptait ainsi une quarantaine d'écrivains bénéficiaires de ces mesures, de nombreux autres en liste d'attente et plus de 400 villes avaient participé à la rédaction et au vote d'une Charte des Villes-Refuge. Aujourd'hui, la liste complète des bénéficiaires de ces mesures s'élève à plus d'une centaine de noms. Paris a fait une demande pour adhérer au réseau des Villes-Refuge.

     Ainsi, une revue nommée Autodafé est publiée, depuis l'automne 2000, en huit langues différentes, et distribuée internationalement. Au sommaire des deux numéros (sortie du numéro 2 ce mois-ci, octobre 2001), une trentaine d'auteurs connus et inconnus provenant de Chine, de Cuba, des Balkans, de l'ex-Yougoslavie, d'Afghanistan, d'Albanie, livrent leurs essais, articles, poèmes et entretiens… Autodafé permet tout autant d'établir des réseaux d'entraide que de communiquer avec le lectorat de son propre pays. À travers les individus, Autodafé veut donner un espace d'expression aux peuples, aux cultures et aux langues en danger. Elle est publiée deux fois par an, dans six villes, par le biais de partenaires : Athènes et Agra, Barcelone et Anagrama, Milan et Feltrinelli, Oporto et Asa, Paris et Denoël, New York et Seven Stories Press, Vitoria au Pays Basque, Serent's tail à Londres, Pangloss pour Moscou.

     À cette revue s'ajoute la toute récente (octobre 2001) création d'un site (www.autodafe.org) pour permettre aux écrivains de communiquer et de diffuser leurs œuvres hors de toute censure. Ce site, consultable en anglais et en français, très riche, comprend la présentation du P.I.E. (historiques, écrivains membres, chartes, réseau, démarche d'aide…) des informations renouvelées (actualité du P.I.E. dans la presse internationale, journal et brèves du jour…) et bien sûr, offre à la lecture des articles parus dans la revue et des extraits de livre inaccessible sans ce moyen du fait de la censure.

     Russell Banks, qui avait adhéré dès 1994 à cette organisation, veut, durant son mandat, augmenter le nombre des refuges et en instituer également au Canada et aux États Unis. Depuis les attentats qui ont touché le sol américain en septembre dernier, il craint un replis culturel de l'Amérique qui ralentirait la démarche du P.I.E. Il lui importe aussi de sensibiliser ses pairs quant au danger économique que représentent les multinationales qui contrôlent la circulation de l'information mais également l'édition. Aujourd'hui, la censure a changé de formes, d'agent, de mobiles : elle s'est détachée de l'Etat pour se diffuser dans la société, devenir un état d'esprit.

     Les termes de "Parlement International" renvoient principalement à l'idée d'un peuple situé hors des frontières d'Etat, car de parlement au sens strict, il n'est pas question puisque aucun pouvoir, aucun palais, aucun greffier ne vient soutenir cette appellation. L'engagement humanitaire mis en œuvre doit se situer au-delà de l'intérêt des États-nations. Par exemple, les liens ont été rompus avec le ministère autrichien de la culture suite à l'accession d'Haider au pouvoir, pourtant Salzbourg reste une ville refuge. On assiste donc à la lente naissance d'une hospitalité transnationale, universelle qui souhaiterait devenir la culture même et non pas rester une éthique parmi d'autres. Le but politique du P.I.E. vise à réactiver les échanges entre les écrivains des cinq continents. On peut le lire comme un appel pour une charte des intellectuels, écrivains et artistes, un appel au refus d'une domestication par les médias en créant des groupes de production (la revue Autodafé en est un exemple) qui établiront des connexions entre fonction créatrice et fonctions muettes de ceux qui n'ont pas droit à la parole. En effet, donner la possibilité à un auteur d'écrire son livre, c'est permettre à tout un peuple de retrouver sa voix, sa liberté de rêver. Il s'agit dès lors d'inventer de nouvelles formes d'intervention des écrivains dans la vie publique en mettant de côté les plaidoiries classiques, le recours au pathos médiatique et aux rhétoriques humanitaires. Il s'agit d'agir vite et concrètement, s'inscrire dans un mouvement à objectif vérifiable au lieu de se cantonner aux pétitions de principe et aux protestations.

 

Sylvain Nicolino
Septembre/Octobre 2001


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Liens


• http://www.autodafe.org
(Le site est très bien fait, la navigation facilitée par un moteur de recherche, des retours au haut des pages, une mise en page agréable)

– la liste des écrivains accueillis est disponible sur
http://www.autodafe.org/fr/cities/writers.htm
– les membres du bureau sont sur
http://www.autodafe.org/fr/ipw/members.htm
– enfin, les villes et régions partenaires sont consultables sur
http://www.autodafe.org/fr/cities/network.htm

• "Autodafé, la revue du Parlement International des Écrivains" présentation par Hélène Sérère du contenu du dernier numéro (Fluctuat.net)

• "Le monolinguisme de l'autre" par Olivier Morel qui établit un parallèle entre la position de Derrida dans deux de ses textes, Adieu à Emmanuel Levinas et Cosmopolites de tous les pays, encore un effort ! et montre ainsi comment Derrida élabore les bases d'une éthique politique de l'accueil (La République des Lettres)

• "Le Sixième Continent", article de Mona Cholet sur Tombeau de la fiction de Christian Salmon, secrétaire général du P.I.E. (Périphéries)

• "Oasis de littérature", entretien entre Christian Salmon et Mona Chollet de Périphéries

• "Le projet des Villes-Refuge" où Pierre Bourdieu développe le projet des Villes Refuge et en décrit le fonctionnement (Le Magazine de l'Homme Moderne)

 

Adresses mail

• ipwpie@compuserve.com
(mail du P.I.E.)

• josette.priore@denoel.fr
(adresse pour commander Autodafé en France)

 

Parlement International des Ecrivains

120, rue Hôtel des Monnaies - 1060 Bruxelles
1, allée Georges Leblanc - 93300 Aubervilliers
(48 11 61 35)