Du banania aux corticoïdes
Les aveux d'un cycliste


L'enfance d'un cycliste

Je suis un homme à bout. Les champions meurent tôt.
Je ne me souviens de rien, l’enfance s’est envolée, sans trace, n’en subsiste rien, pas même une présence floue, buée sur la vitre de nos rêves. Ma tête n’a jamais bien fonctionné, je n’ai jamais fait confiance à ce qui se passait, murmurait, dedans, jamais vécu le moindre sentiment d’exaltation qui m’aurait fait prendre pour un messie, ou une lanterne. Même la rouge, surtout la rouge, lanterne rouge des essoufflés, des estropiés, de ceux qui ont la bravoure des lendemains de course, quand tout est farine, brume, pâte : le cerveau, les jambes et les entrailles… Et, tiens, cette couleur me renvoie contre toute attente à ma première devise : l’action n’a pas besoin de lanterne. Celle-là même qui deviendra plus tard : lanterne rouge, non, maillot à pois rouges, oui !
Les champions naissent tôt, disait père, les champions naissent tôt, et, je prends enfin conscience du poids de cette sentence, maintenant qu’il est trop tard, maintenant que l’exil, la maladie, en un mot la déchéance, me voient affronter dans la solitude, moi qui fut acclamé, la fin de ma carrière et de ma vie… Oui, aujourd’hui je mesure toute la sagesse de père, qui ne pouvait pas ne pas penser à ces devises qu’on se fabrique dans l’enfance et qui, croit-on, meurent avec elle, alors qu’elles reprennent vie, renaissent des cendres de cette enfance, sous la forme d’un cri de guerre ; une devise, oui, n’étant tout au plus qu’un cri de guerre, le cri d’une guerre qu’on se livre soi-même, et père savait ça, et il m’avait dit dans le garage, alors que je rangeais le vélo avec lequel je venais de remporter le Bordeaux-Toulouse, en me regardant comme jamais plus il ne le ferait, dans les yeux et même au-delà : Les champions naissent tôt.
Et c’est déjà un souvenir, c’est toujours bon à prendre.

Je reprends. C’est déjà une suite. Je ne me souviens donc de presque rien. Une devise c’est bien peu, pour retourner en enfance. Et l’état de mon cerveau compte pour beaucoup dans la lenteur et la rareté de l’enchaînement des souvenirs. Surtout depuis que. Alors, je parlerai sans m’arrêter, j’enchaînerai les mots comme je déroulais avec finesse et dans un bruissement huilé le pédalier ailé de mes ascensions fulgurantes, assassines disait Les Coupes, il y a peu de temps encore…
Voici donc le seul portrait d’un cycliste, l’enfance d’un chef, d’un grimpeur, peint exactement comme la nature a pu l’observer et le voir passer et suer, sur les cols, les monts, le gros pelé Ventoux, le terrible Galibier, le Lautaret et l’effrayante Meije noire, le mignon col de Porte, enfin l’épuisante Alpe D’huez, avec ses treize ou quatorze lacets, je n’ai jamais pu me concentrer pour les compter jusqu’au bout, tout à la douleur qui fondait sur moi, et que je devais repousser, pour atteindre le sommet… Et dans toute sa vérité, tel que nul autre cycliste n’osera jamais se peindre, de face ou de profil, qu’importe, puisque c’est de moi et de mon corps rompu qu’il s’agit. Qui que vous soyez, là, en train de parcourir ces mots maladroits, sachez que je veux me montrer dans toute la nudité de ma faiblesse, et si le cancer qui me ronge, les crises qui me dérèglent, la justice des hommes qui me menace, ne brisent le moule dans lequel je perdure, si mes entrailles ne battent pas l’ultime rappel de la fin dernière, alors j’achèverai ce texte, et je pourrai me présenter, devant tout juge, aussi droit et hautain qu’au guidon de mon vélo pendant l’ascension du Galibier, ou du Lautaret, ou de l’Alpe d’Huez. Je dirai sereinement : «voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pris, ce que j’ai gagné. Je dis le bien et le mal avec la même franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s’il m’est arrivé de charger les camarades du peloton, ce n’est jamais que pour réparer l’injustice dont ils sont victimes depuis que l’organisation des courses les oblige à se surdoper pour briller à la télé». Je n’ai plus rien à cacher, et s’il m’arrive d’oublier un épisode, un ingrédient de ma carrière de cycliste dopé, ce ne sera jamais que suite aux défauts d’une mémoire sombrant devant la marée de médicaments sur laquelle j’ai dû surnager, pour pédaler… Je me montre donc tel que je fus, méprisable et impuissant quand je l’ai été, dopé, vainqueur et sublime quand je l’ai été. Ne soyez donc ni malfaisant, ni vindicatif, lisez les lignes d’un cycliste qui a su tirer l’encre avec les larmes et le sang de son corps fourbu, et n’oubliez jamais que dans un monde libéral et médiatique, le dopage est le propre de l’homme sale.

Une devise, donc, mais comme tout cancer, elle tire sa longévité de puissantes et profondes racines, telle cette scène où, un matin de mai, je me goinfre de banania pour battre mon frère à la nage. Si je n’ai retenu que cette scène, c’est peut-être en raison de son caractère douloureux qui efface tous les autres souvenirs en même temps qu’il ne leste que celle-là. Et c’est bien comme un poids, ceux qu’on lance, gavé d’anabolisants, ou comme une boule de lumière qui vrille les intestins, et en dessous, quand on abuse de corticoïdes. Douleur et asphyxie, parce que je voulais gagner cette course, trois longueurs à la brasse, je voulais devancer le grand frère, celui qui faisait parler de lui dans la famille, parce qu’il savait s’entraîner avec la régularité de ceux qui ont une idée fixe, parce qu’il avait recouvert les deux murs qui lui revenaient dans notre chambre commune de posters de champions de natation, et ça impressionnait les parents, qui menaient chaque visiteur devant ces murs, pour une minute de contemplation. Moi, je voulais leur montrer que j’avais le don, la rage, la technique, que sais-je encore, qui balaieraient tous les efforts de ce grand frère qui me faisait de l’ombre, qui a toujours porté l’ombre en moi. Je voulais éblouir, seulement mes huit ans ne tenaient pas la comparaison face aux seize ans entraînés de mon aîné. Je voulais montrer ma technique, or je nageais la brasse comme si j’avais porté une minerve toute ma vie. Mais j’avais la rage. Et je pensais qu’avec la chance et quelques vitamines, je ferais illusion, au moins un inattendu second. Alors, pour forcer mon talent, je me suis presque étouffé en avalant des cuillères à soupe pleines à ras bord de banania, et je toussais tellement que la cuisine a fini par être envahie par un nuage de cacao. À peine remis de ce gavage censé me survitaminer, j’étais encore tout ballonné, et nauséeux, quand père nous a amenés à la piscine. Cette course, je n’aurais peut-être pas dû la faire. Je suis arrivé dans les vestiaires très concentré, je me suis échauffé longuement, mais doucement car j’avais des renvois (mes dents crissaient sous les grumeaux de banania). Mon frère est sorti des vestiaires le premier, assez tendu par l’enjeu ; ce n’est pas qu’il se méfiait de moi, avec ma petite taille, mon corps de crevette, mais il doutait de ses forces, de ses capacités, il redoutait la défaillance, sa défaillance, et il l’a toujours redoutée. C’est pour ça que c’est un ivrognard de première aujourd’hui, qui bat sa femme et baise son chien. Père a donné le départ. J’ai plongé, et… j’ai vomi dans la piscine. L’eau s’est troublée, le banania, dans le chlore, ça se repère vite. J’avais huit ans. J’ai perdu la course, mais, ce jour-là, j’ai gagné en lucidité : la natation c’était pas mon fort, et le dopage, car il s’agissait bien de ça, ça se préparait.

Et quand je revois cette scène, je sais que tout le reste en découle, tout défile. J’espère réussir à tout dire, parce que, moi, les mots, c’est pas mon château. Surtout maintenant que. Le lendemain, remis de ma crise de foie, j’ai tanné mes parents pour qu’ils m’offrent un vélo. Je ne savais pas en faire, du vélo, alors je n’ai pas eu celui que j’avais repéré, le course jaune, la vitesse piaulait en moi, déjà. J’ai eu le cross avec les roulettes. Dès que je l’ai vu, je me suis mis à rêver de roulettes invisibles, pour battre (en douce) les autres débutants en vitesse et en dextérité. Mon frère m’accompagnait en rollers, le vélo, il maîtrisait déjà, et maintenant je le lorgnais, il patinait avec souplesse, sans vertige, s’il avait pu s’étaler, mais rien, il assurait ; il buvait pas, à l’époque, salaud.
Et c’est là que mon destin se noue, comme une corde sous la pomme d’Adam. J’ai appris à pédaler en un jour, la trouille s’évanouissait quand je me souvenais qu’il avait fallu une semaine à mon frère pour tenir avec une roulette, puis une autre pour être autonome. À mon tour, et pour la première fois, je ferais l’admiration de mes parents ! Je pédalais sans hésiter, mû par une force qui m’exaltait, littéralement me tirait hors de moi. Ce qui m’aidait à tenir droit, à me dépasser, comme on laisse sur place un adversaire qui s’est usé à faire la route devant, et à qui on a sucé la roue, pour lui placer au moment où il s’y attend le moins et où il n’en peut mais un démarrage qu’on dit foudroyant pour ce qu’il déplace de vent, de sueur (ce que le corps brûle comme le feu la poudre), et pour ce qu’il fait de l’autre, le dépassé, le cloué sur place : un médusé aux jambes de bois, un de ces gros cailloux patauds et définitivement figé dans l’immobilité de l’impuissance, et qui n’ont plus qu’à espérer un geste du destin, tempête, coup de pied, foudre, pour s’ouvrir ou rouler en bas du talus, et s’enfoncer en silence dans l’humus ou la mousse, en silence et en douceur, s’enfoncer dans la grande nuit muette des défaits ; ce qui m’aidait à tenir droit, donc, à pédaler sans crainte et à grande vitesse, ce n’était pas un subit accès ou excès de courage, je reste et serai toujours un pleutre (aujourd’hui encore je ferme les yeux dans les virages), ce qui m’aidait à tenir droit, il faut l’avouer, c’était la migraine qui me barrait le front, et mes sinus qui étaient en feu : j’avais souvent entendu père affirmer que les pilotes de formule 1 se bourraient le pif de cocaïne pour avoir le sang-froid et les réflexes pleins de super lucidité. Évidemment, on n’avait pas de cocaïne à la maison, alors j’avais sniffé de la poudre à récurer et l’effet ne s’était pas fait attendre : j’eus le nez en sang. Et le cerveau en feu. Alors, je ne pensai qu’à une seule chose, faire entrer le plus d’air possible dans mes narines pour, d’une part, faire cesser l’hémorragie, d’autre part calmer la sensation de brûlure qui me bombardait le front, les tempes, les sinus. J’ai sauté sur mon vélo, de l’air je pensais, pédaler vite pour avoir de l’air, vite descendre la grande côte, vite, et j’ai foncé. C’est au moment où j’ai entendu les cris qui venaient de la maison que j’ai compris qu’il se passait quelque chose : avaient-ils repéré que j’avais mal, j’avais pourtant bien essuyé la nappe pour faire disparaître le sang et la poudre à récurer ? Avaient-ils peur que je ne chute, je montais et descendais la côte comme un fou ? Non, ils criaient au génie car je pédalais sans roulettes, père les ayant démontées pour les graisser, et je ne l’avais pas remarqué. J’ai compris pendant que je descendais pour la septième fois la pente : j’ai baissé les yeux, j’ai vu le goudron défiler, et je me suis rendu compte que je n’entendais plus le frôlement des petites roues, à l’arrière. Je n’ai pas eu peur parce que j’avais encore trop mal au nez, et parce que je ne voulais pas m’arracher la peau des coudes et des genoux, en plus. Arrivé en bas, j’ai su que je savais faire du vélo, que je pouvais monter et descendre une montagne sans m’essouffler : j’avais trouvé ma voie, j’étais un grimpeur ! Mon frère en est resté baba, je crois que sa première cuite eut lieu ce jour-là, salaud.

Les années passèrent, avec les choses compliquées de l’école ; les maths, à quel moment se croiseront deux cyclistes qui sont partis de leur village respectif, A et B, situés à 13 kilomètres l’un de l’autre, si l’un roule à vingt kilomètres par heure, et l’autre à dix-huit kilomètres, sachant que le cycliste Laurent est parti à 8h23 et le cycliste Bernard à 8h14 ? Il y avait aussi les cours de français, Le lièvre et la tortue ; ceux d’histoire, la rafle du Vél-D’hiv…. et d’autres que j’ai oubliés. Bref, des choses compliquées qui s’éclairaient parfois, quand elles me parlaient.
Le samedi je m’entraînais, et le dimanche, c’était la course, le but de la semaine, on ne parlait que de nos courses, on se parlait encore, le frère et moi, à l’époque, salaud. Les courses, je les perdais toutes mais j’avais déjà un petit talent pour les grimpettes, le problème c’est que dans les Landes, où mes parents vivaient, c’est plutôt plat. Le frère, lui, cet empoisonneur, il faisait piscine, et il les gagnait ses courses, salaud, l’était pas encore alcolo, à l’époque. Je perdais. Ça m’enrageait. Mais un jour, ça me revient, père m’a inscrit pour le Bordeaux-Toulouse. J’avais 16 ans, 0 victoire, 37 podiums en second, et 23 en troisième, pour le reste des chutes, des abandons, des classements lamentables quand je rentrais dans le gros du peloton, comme la fois où j’ai crevé sur un hérisson qui m’a mordu. Mais là, ce dimanche de mai, ça bascule.


Les premières victoires : la joie du natif


Natif, ou naïf, encore une fois les racines plongent pour se rejoindre et se fondre. Natif, je profitais souvent de la connaissance des routes et chemins pour trouver le ou les raccourcis qui me permettaient, «comme par miracle» disait Le Cycliste landais, de me trouver en première position, devant un peloton ou un groupe d’échappés stupéfaits : personne ne m’avait vu passer. Mais, suite à un incident que je décide de ne pas passer sous silence, je ne veux pas mentir par omission, je veux me racheter pendant que les faibles lumières de mon esprit brillotent encore (mais pour combien de temps ; les crises s’espaçant de moins en moins) suite à un incident donc, qui eut pour cadre la campagne, ses étendues faiblement peuplées, ses fermes assoupies sous le soleil de mai, en un mot son calme, j’ai juré de ne plus prendre le risque de couper à travers bois. J’avais traversé le petit bois de la Toulpe, qui me faisait gagner trente-trois kilomètres et plus d’une heure sur les autres, et je me proposais de reposer mes fesses endolories par deux heures trois-quarts de selle quand je vis une ferme dans la cour de laquelle se trouvaient une vieille camionnette, un puits et un long banc. Je dépose le vélo sur le mur, et j’appelle ya quelqu’un ? ya quelqu’un ? Mais il ne devait y avoir personne parce que nul être, homme ou chien ne me répondit. Je regarde le puits, un seau y était que je fais plonger dans le trou, je le remonte plein d’eau fraîche, je bois, je remplis mon bidon, et je décide d’aller manger mes barres de céréales sur le banc. J’aurais pas dû. Je m’assois, et la douleur qui me pilonne les fesses se réveille au contact du bois, si bien que je dois me lever. Il faut à tout prix que je calme cette douleur, j’ai toujours été sensible du cul, les hémorroïdes chassant les cors, les champignons colonisant les varices. Je sors donc mon tube de pommade à la cortisone, je jette un dernier regard autour de moi, je m’approche de la camionnette, dirige le rétroviseur vers moi, baisse le short moulant que je porte, comme tout coureur, sans slip, et tend vers le petit miroir encadré de fer un cul blanc rehaussé de rougeurs localisant les zones où la douleur fait son siège. Non sans un rictus de soulagement, je me tartine les fesses de crème, lentement, doucement, c’est bon, rahahahahahah rah. Ah ! Je me redresse car derrière moi vient d’apparaître un gros paysan mafflu qui se lisse la moustache en contemplant mon cul. Je remonte mon froc, et je bredouille un bonjour, ‘scusez moi, je... croyez pas que…
- Alors, comme ça on fait du vélo, mon gars ? Et on a le cul un chtiot peu douillet ?
- Bah oui, m’sieu, mais je pensais pas que… enfin je voulais pas déranger…
- Mais tu ne déranges pas mon p’tit gars, j’ai toujours eu un p’tit que’qu’chose pour le vélo.
- J’ai appelé, personne ne m’a répondu, alors j’en ai profité pour…
- J’étais en train de roupiller, et t’as bien eu raison d’en profiter, faut profiter dans c’te vie qu’est si courte… Paraît que vous en profitez bien vous, les pédaleux, hein ? Ça doit rigoler dans le troupeau, non ?
- Vous voulez dire le peloton ?
- Ouais, ouais, tu m’as ben compris, va… Et dans les douches aussi ça doit y aller, hein, vrai ?
- Ben, je, euh, on se fait des copains, quoi, c’est, avec le temps, on croise toujours les mêmes, et…
- Ouais, ouais, et qu’est-ce qu’il avait ton petit cul pour que tu me l’exhibes comme ça, sous mon nez, dans ma cour…
- Irrité, il était irrité, mais là, ça y est, enfin, ça va mieux, d’ailleurs je vais vous laisser, je dois repartir…
- T’as ben l’temps de boire un canon…
- Je voudrais pas abuser, et puis il se fait tard, non, merci, mais non.
- Et pis moi, je soigne moi-même mes vaches, et ma femme qu’est partie la salope était infirmière, alors pour les soins chsais y faire…
- Non, merci, sans façon.
- Allons, fais pas ta midinette, j’te dis que chsais y faire.
- Vraiment, non, j’vous assure, sans regret…
- Allez, ça m’fait plaisir d’aider les sportifs, et depuis que ma femme est partie la salope j’ai pas eu trop l’occasion de faire des soins à des petits culs tout blancs comme le tien.
- Ça suffit, je suis pas de ce pain dont on fait les bûches, je me pommadais, rien de plus, allez-vous en et moi aussi, on reste amis, ya pas de grabuge !
- Doucement, on dirait une biche égarée, t’as les mêmes yeux… c’est juste pour se rendre un service entre civilisés : j’te pommade un p’tit quart d’heure et on n’en parle plus, ni vu ni connu entre deux fagots.
- Jamais ! Et remettez votre salopette, c’est odieux !
- Vas-y, beugle, tu peux y aller, ya personne ici… et puis, moi, ça me rappelle mes vaches…

Et je fus vigoureusement pommadé.
Quand je pus m’échapper, je courus vers mon vélo, et sans m’arrêter à la douleur qui, contrairement aux promesses de ce vilain, me fouaillait et apportait une dimension nouvelle, plus aiguë, à la douleur superficielle due aux frottement de mon cul sur la selle, je pédalai comme un fou pour rejoindre la route, la course, le monde normal de ceux qui pédalent, victoire ou défaite au bout qu’importe. Je n’ai plus jamais coupé à travers champs.

Naïf, je le fus dans les semaines qui suivirent, quand, en fouillant dans la chambre de mon frère, je découvris une drôle de panoplie, cachée et accrochée sous le matelas : des seringues avec des petites fioles. Le soir, j’attendis l’après repas avec père et mère pour rejoindre mon frère. Tout à trac, je lui déclarai que j’avais vu, que je savais, que je ne comprenais pas pourquoi il prenait de la drogue alors qu’il était un sportif doué, reconnu, à preuve sa sélection dans l’équipe de France de natation pour les prochains Jeux Olympiques. Il me rit au nez et me traita de pauvre naze de plouc : si je vais aux J.O, c’est grâce à ces seringues, si je gagne, c’est grâce à ce traitement ! Qu’est-ce que tu crois ? Qu’on gagne sur ses seules qualités ? Tu rêves ! La preuve, toi, tu gagnes bien parce que tu prends des raccourcis !
- Prenais, je prenais…
- Et alors, est-ce que tu gagnes depuis que tu as arrêté ?
- Non.
- Tu vois ! Et ça, c’est un traitement sans danger si tu le maîtrises, vendu par le docteur Dimitri dit Seringuoff. Il m’a tout expliqué : le survitaminage aux corticoïdes, puis la créatine pour accélérer et optimiser la récupération, enfin le Céphyl, produit masquant pour passer les tests antidopages tranquillement, comme un passe murailles.
- Ça coûte cher ?
- Pour toi, je peux avoir des prix. T’es mon frère, quand même…

Voilà comment celui qui se disait mon frère paracheva le dépucelage. Il me dit tout : que le milieu amateur, natation ou cyclisme, qu’importe, est gangrené par la dope, les contrôles y étant moins fréquents, la rage de réussir exacerbée par le nombre de concurrents, et les médecins de campagnes testant pour de grosses firmes pharmaceutiques des produits qui seront commercialisés plus tard pour les professionnels ou le quidam malade ; sans oublier le milieu professionnel où la dure loi de durer, face à la multiplication des compétitions et à la progression infinie des records, rend impossible l’existence d’un athlète dans un corps sain… Mon frère finit son entreprise de perversion, qui, il faut l’espérer, n’eut jamais d’exemple et n’aura point d’imitateur, en me tendant sa trousse de dopage, et en me disant, j’en ai d’autres, prends, tu veux gagner ?
Ma tête était aussi engourdie que mon cul quelques semaines plus tôt. Mais elle ne balança pas : le monde allait m’appartenir, ses podiums et ses contrats, ses monts et ses cols…
Dans la semaine qui suivit, je remportai au sprint, moi, le grimpeur !, le Bordeaux-Toulouse. Jamais je n’avais senti mes muscles jouer avec autant d’aisance, jamais je n’avais eu l’impression de survoler une course aussi évidemment, «aussi royalement» dira le Champion du Lot, jamais mes poumons ne s’étaient vidés et remplis plus régulièrement et profondément que dans cette course, jamais je ne m’étais senti aussi puissant, si bien que le soir, en remisant le vélo, j’aurais la surprise de découvrir que mes vigoureux coups de pédale avaient tordu le pédalier. À l’arrivée, je n’étais même pas essoufflé, je ne tenais pas en place, je cassais les stylos quand je signais les autographes, j’en ai même planté un sur le dos d’un admirateur à la fin de la signature, bref j’ai fini par attirer l’attention des juges qui m’ont fait passé un test anti-dopage… que j’ai traversé comme un passe muraille ! Mon frère, cette lope, ne m’avait pas menti… Malheureusement !
Parce que très vite, il me fallut mes produits pour chaque course, pas question de risquer une défaite alors que les journaux s’intéressaient à moi et que les sponsors me serraient de près. Mon premier fut Faustin Brioche, une marque locale qui me paya un nouveau vélo, mes nuits d’hôtel… et ma dope ! Le deuxième, qui s’appelait Mister Bricoltou, me fit signer pour trois ans et me mit en contact avec un soigneur expérimental et expérimenté. Je pouvais me passer de mon frère, qu’il pourrisse en enfer, qui me vendait à prix fort les produits de son Dimitri sous le double prétexte que je commençais à gagner ma vie, tandis que lui, contrôlé positif aux J.O (il battit ce jour-là le record de taux d’hématocrites) vivait une traversée du désert, le temps de se refaire une virginité… Mes cuisses profitaient du traitement, même si elles n’atteignirent jamais les dimensions cyclopéennes de celles d’Abou Casparov, «le sprinter V.6» comme le surnomme Les Coupes, ou de celles de Laurent Talamer, connu dans le peloton sous les sobriquets «Le Rescapé du bitume», ou «Gueule de plastoc» ou encore «Broute goudron».
Et de snif en aiguilles je fus naturellement amené à prendre des substances pour améliorer mes performances pendant l’entraînement : amphétamines, corticoïdes, créatine, E.P.O… J’étais toujours sous produit. Mon frère, que les rapaces de l’enfer l’embrochient, me fit connaître le «pot belge», que je prenais pour les grosses courses, c’est-à-dire pour tenir le choc dans l’ascension et le passage de cols difficiles. Ce mélange cocaïne-héroïne-amphétamines est particulièrement explosif, c’est chaque fois Hiroshima mon amour, parce qu’on est terriblement excité, on bande dans tout le corps : les yeux, les muscles, la bite, tout se gonfle. Moi, ça me surexcitait tellement que je ne dormais pas les trois nuits qui suivaient la prise et que je me pognais même pendant les courses, surtout lors d’une échappée (mon record de pognage est de 19 kilomètres et 800 mètres, mais je dus arrêter sur abandon pour défaillance du poignet). Évidemment, mon caractère subit quelques altérations, de doux et agneau que j’étais, je devins pitt et bull. J’avais les nerfs en fleur de pot. Agressif, il m’arriva de pousser des coureurs qui me serraient de trop près, ou de donner des coups de pieds aux prolos qui nous encourageaient sur le bord des routes, gros cons enfrités. À la maison, père et mère se tenaient à distance, m’apportaient mes repas sur un plateau qu’ils déposaient à l’entrée de notre chambre. Je mangeais avec dégoût, et il m’arrivait souvent d’aller dégueuler, ce qui m’amenait à me faire une nouvelle injection, de vitamines cette fois. Un jour, j’ai même pissé sur un commissaire sportif qui me menaçait d’un contrôle anti-dopage soi-disant parce que j’avais mordu son chien et jeté une seringue sur son fils (un pauvre mioche genre teckel aux yeux torves qui n’arrêtait pas de renifler pendant que je me faisais masser, ce qui me tapait considérablement sur les nerfs). La seringue n’était même pas souillée, il ne risquait rien son fils ! Même mon frère me respectait, depuis le soir où je lui avais éclaté l’arcade sourcilière gauche à coup de pompe à vélo, parce qu’il refusait de me faire ce que, plus tard, on appela, le «méga pot belge» : tout simplement le pot belge auquel on ajoute de la strychnine et du banania (pour le goût). J’avais course le lendemain, et je savais que j’allais être supervisé pour entrer dans une équipe (Ange Delamour) qui pouvait me faire signer pour courir le Tour de France, je devais donc gagner, être impressionnant. Mon frère finit par me faire le méga pot belge, je remportai la course, j’entrai chez Ange Delamour, j’avais dix-huit ans, ma carrière pro décollait enfin.


D’Ange Delamour à l’enfer tout court

Au moment où j’entrai chez Ange Delamour, mon corps prit certaines libertés auxquelles je n’attachais pas d’importance dans un premier temps. J’ai déjà dit que mes cuisses s’étaient développées : qu’elles aient triplé de volume, n’était pas grave, même si je n’entrais plus dans mes Levis. Quand mes cheveux se mirent à pousser et à friser, je ne m’inquiétai pas immédiatement, m’en amusai, et décidai de ne pas aller chez le coiffeur. Mais ce stoïcisme fut vite intenable : non seulement mon énorme touffe offrait une prise au vent, ce qui me ralentissait dans les montées, et me tordait la nuque dans les descentes, mais les autres coureurs me traitaient de mouton noir de Tchernobil, de négatif de barbe à papa, et me demandaient si je me dopais au Jackson Five… C’est pourquoi je me rase la tête, aujourd’hui encore, quand mes doigts ne dansent pas la gigue et que je ne risque pas de me couper les oreilles ou de m’éborgner. D’ailleurs, tous les coureurs, tous les sportifs de haut niveau se rasent les cheveux ou les teignent : le poil capillaire est un capteur-mémoire, et le faire disparaître ou le teindre en jaune ou en bleu, c’est ne plus risquer de se le faire prélever pour qu’on y détecte la prise de substances dopantes.

Plus inquiétant, même si les premiers jours j’en tirai quelque vanité, mes couilles se mirent à grossir puis à durcir, comme des œufs d’abord, puis comme des mandarines. Elles étaient rouge vif, et tellement enflées qu’on ne voyait plus dépasser ma bite. Mon frère, qui buvait pas mal déjà, crut être victime d’une hallucination, ce qui lui fit peur, puis quand il vit ma mine défaite, il se rassura, comprit que ce n’était pas sa vision qui déconnait mais mon appareil reproducteur, et se marra comme une dinde. Il me dit que c’était dû aux corticoïdes, que je ne pouvais plus en prendre, que je risquais la crevaison. Il dit tout ça, et il riait ce cloaque humain ! J’arrêtai donc les corticoïdes que je remplaçai par l’erythropoïétine dite E.P.O.
En attendant le retour aux couilles normales, je ne pouvais pas monter sur un vélo, je risquais trop de m’asseoir dessus. Mon corps commença à se rebiffer, ce qui rendait fou mon soigneur qui devait se torturer les méninges, le pauvre, afin que je sois d’attaque pour la prochaine course.
Bientôt, je n’assurais plus en course, j’avais des visions, ou des pannes : je demandais à mes coéquipiers si l’arrivée était encore loin, si on était déjà passés par une ville qui n’était même pas sur notre parcours, ils devaient parfois me guider, me dire de tourner à droite, ou à gauche, et je n’arrêtais pas de me pisser dessus pendant les courses. La nuit, je devais mettre le réveil toutes les deux heures pour me forcer à me lever et à marcher afin d’éviter la thrombose due à un sang trop épais qui risquait de boucher les vaisseaux.

De son côté, l’évolution de mon caractère continuait à me surprendre. Les crises de violence se rapprochaient au point de s’enchaîner. Je ne voyais plus mes parents, je n’avais pas d’amis, même chez les coureurs qui m’évitaient sitôt la course ou les entraînements terminés. Et c’est dans cet état que l’irréparable arriva. Je n’ai pas dit que j’avais un chat. Je n’ai donc pas parlé de sa voix aiguë qui me bombardait le crâne à l’heure des repas, ou pour des caresses. Mon pied au cul elle avait fini par avoir, ma chatte. Mais un jour, ce fut pire : à bout, j'attendais mon fournisseur qui était en retard, et je n’avais pas le courage de me lever pour donner à manger au chat, qui gueulait comme un putois, tout en s’étouffant à moitié, ce chat n’a jamais pu s’empêcher de ronronner en miaulant. Exaspéré, je me revois bondir sur la bête qui se trouvait au pied du lit, la prendre par la peau du cou, comme les mères le font avec leurs petits, puis me diriger vers la fenêtre, qui était ouverte. Que croyez-vous que je fis ? Je tendis le bras, et, dans un rire mauvais qui ne m’appartenait pas, je relâchai progressivement la bête, en ouvrant lentement mes doigts. Elle ne miaulait plus… mais c’était trop tard, m’avait assez gonflé.
Je fermai la fenêtre et me jetai sur mon lit, épuisé. Je commençai à somnoler, curieusement apaisé, quand j’entendis le petit bruit à la porte. Mon fournisseur, enfin, l’enfant de salaud ! J’ouvre, mais il n’y a personne derrière la porte. Je fouille les ténèbres, rien. J’entends un gargouillis à mes pieds : je baisse le yeux, c’était la bête qui agonisait et s’était traînée dans les escaliers, à présent que j’avais allumé pour la ramasser, je voyais le sang dans les escaliers qui m’indiquait son parcours, sur se pattes brisées, et malgré ses dents qui, ses dents...

Je suis une merde. Et mon frère me torche.
Et toutes les tripes que j’ai rendues ce soir-là ne me rachèteront jamais. Je suis une merde, et c’est dans l’œil de mon chat, qui me fixait mais je n’y lisais nulle reproche, que je compris qui j’étais, plus un homme, même pas une bête. Une machine à gagner… à broyer.

C’est dans ces conditions de surmenage que je décidai de m’enfuir à Marrakech.
Alors que j’entends s’approcher les trompettes du classement dernier, alors que je compte mes instants de lucidité en minutes, folie et misère m’acculent, j’espère avoir l’énergie de revenir sur les derniers jours, de façon à prévenir la rumeur d’Orléans, prévenir et circonscrire la rumeur. Je n’ai péché que de mes fautes avouées, tout le reste est mensonge.
À Marrakech, où je me trouve encore, j’écris ces aveux, pour contrer la rumeur qui enfle depuis qu’un paparazzi a diffusé certaines photos : J’ai décidé de faire front, d’avancer nu et vrai, comme aux jours heureux d’avant le dopage. Il ne me reste plus grand chose à avouer, hormis reconnaître la véracité de ces photos. Je veux pouvoir dire : voyez ce corps, je fus cet homme-là, oui, je fus cet âne braillant aux figues. Voyez, me pesez, et jugez. Ainsi. J’explique.
Privées de corticoïdes, mes couilles sont redevenues ces petites choses ridées qui pendouillent, de couleur marronâtre, et qu’on oublie vite. Mais, tout aussi sevré, mon corps s’est mis à débloquer, à dysfonctionner me dit le médecin marocain, consulté dans son cabinet tapissé de marqueteries. Comme le montrent les photos prises par le paparazzi, sûrement prévenu par le médecin, qu’il en soit fouetté par les onze mille rayons du peloton, et qui devait se tapir sur le balcon, mes mains n’obéissent plus aux ordres de mon cerveau : quand le médecin me demande de placer la loupe devant mon œil, je montre ma dentition, et quand je tente de montrer mon oreille, je n’arrive qu’à viser mon œil. Mes gestes s’emballent, je tremble comme une madeleine, je suis pris de sursauts nerveux d’une violence qui n’est pas rare (malheureusement). Ma vie est un enfer. Je n’arrive plus à signer un échec, je ne peux plus tenir un stylo, il m’est de plus en plus difficile de taper sur ce clavier, ça me fatigue vite. Au bout d’une dizaine de minutes, je rate les touches, je dois faire des pauses de plus en plus longues. Quand ça va mieux, je reprends. Vous ne devinerez jamais le temps qu’il me faut pour faire les menues tâches de la vie courante, pour taper ce texte. Je ne bois plus qu’à la paille, et pour ne pas m’éborgner avec la fourchette, je mange, également à la paille, des choses liquides. Quand la crise est violente, mes mains deviennent folles et m’attaquent, comme vous pouvez le voir sur la dernière photo du paparazzi (que ces couilles enflent, à celui-là !).
Moi, le vainqueur des Côtes Picardes, le lion des Alpes, le foudroyant du Ventoux, j’ai amassé tous les trophées de grimpeurs, j’ai fait la Une des Coupes pour mon échappée de 198 kilomètres, j’ai tout eu, tout vaincu… Et j’en suis réduit à me terrer, là, à Marrakech, en proie aux dysfonctions de mon corps, aux paparazzis vicieux, aux expériences d’un médecin qui se fout de moi, seul, abandonné de tous : mon frère est en prison et il menace de me balancer dans la liste de ses clients, mon directeur de course fait le mort, il est injoignable, tout le monde me tombe sur le dos, même ce Virance qui me dénonce au 20 heures, il a toujours été jaloux de moi, ce taurillon qui prend l’E.S.B pour de l’E.P.O ! J’enrage ! Et mes crises qui me tétanisent ! Et ce clavier qui se fout demoii d avec toutes ses toucjes qui trempblend dans topus les sens ah ! j’(enrage !Je stipule qu’i ly aura ! Ça glauque les arpions, ça me ploute lemartelle en tête, vite une seringuie et de l’air fouettons les hématocrites ! jubilons ! ah ! aha ! ah ! ahi aïh !

Je reprends. C’est la fin. Je n’allumerai plus cet écran, au bout j’éteins. Ça parle en moi, mais sur le papier ça ne ressemble pas à des choses connues. Je laisse couler. Mon cerveau est plein d’étoupe. J’ai des souvenirs trop récents pour être classés. Je relève mon courrier électronique où je ne suis pas seul, il y a l’autre, cet écrivaillon de cinq à sept qui me dépatronymise. Il me viande sur mon propre site ! Quand on est plus le roi même chez moi la zizanie est en route ! De l’aide ! Ne confondez pas internautes, ce n’est pas moi c’est l’autre ! Ce n’est pas moi c’est l’autre ! C’est l’autre ! l’autre !

Vengeance. Mon frère est une grosse légume, c’est lui la dent cariée.
Bougez pas, je reviens...


Ultimes dérives d’un dopé dégommé

(Ici, nous nous devions, après mûres réflexions, de rendre un dernier hommage à un homme dont les aveux sincères rachètent, in extremis les fautes et les crimes. Vous trouverez donc dans ce chapitre le dernier message que l’on ait reçu de Laurent Roux, avant qu’il ne mette fin à ses tristes jours en se pendant avec une chambre à air dans la solitude de souffrances tant morales que physiques. Qui aura lu attentivement les pages hallucinantes de vérité qui précèdent, saura déchiffrer ces propos quelque peu abscons, et retrouver derrière le délire (d’un homme en ruine) l’innocence, l’influence du frère corrupteur, le remords, le cri de colère d’une victime économique, et la folie qui vient jeter sur cette vie un épais drap où sonnent le glas et la confusion sans rédemption. Car Laurent Roux est mort sans pardon, rongé par le remords et le sentiment de sa déchéance certaine ! Considérons Laurent Roux comme un héros, le seul héros dont notre société corruptrice et marchande soit capable ; oui, un héros poussé au crime et au suicide. Cruelle époque que la nôtre. Que ce récit puisse sauver les apprentis héros de l’enfer, et qu’ils voient en ce parcours fulgurant et souvent hors du vraisemblable la preuve qu’une vie humaine se joue sur rien, un gavage au banania, des modèles mal choisis, ou des Pères absents. Et roule le tambour. Les aventures rapportées dans ces aveux, qui en appellent aux pardons des offenses, et la terrible déchéance finale que nous avons décidé de livrer aux lecteurs du monde entier doivent se lire comme le calvaire d’un saint perverti par les sirènes avides d’un milieu sans âme où l’argent mène le peloton. Sous le gant de fer, les doigts de seringue. Lisez... et pardonnez) :

... Je dois tout dire la colère aussi pourquoi se taire se terrer il faut que les gens SACHENT.
C’est la fin je le sais, mettez sur ma tombe : IL PEDALE DANS LA SEMOULE LE LIBERALISME SPORTIF FAIT SON BLE LE DOPE EST TELEGENIQUE LE DOPE EST A L’HEURE LE DOPE RESPECTE LA PUBLICITE LE DOPE EST UN HOMME SANDWICH J’AI FAIT UNE GRAVE ERREUR JE ME SUIS DOPE JE ME SUIS DOPE SUIS DOPE DOPE OP OP OP OP OP OP OP ! ! ! !

Je ne suis pas
Un sachet
Qu’on vide.

Avec pétrole hi-âne, je mâche mes cheveux par la racine.

Cycliste déchu ! Cycliste déchu ! Déchu ! Fichu chiffon foutu !

(… Ici, un passage particulièrement grossier qui ne permet pas d’éclairer le parcours de Laurent Roux et qui n’apporte au récit que le sel du scabreux et du sensationnel. Nous nous sommes permis de le censurer)

La cataracte gronde mais j’ai rien fait
C’est pas moi ! c’est pas moi ! C’est l’autre !
Mon métabolisme botte en touche pipi,
Et le catabolisme dilapide l’obole !

E.P.O ! E.P.O ! E.P.O !

Dites, n’auriez pas vu passer l’heure du thé ?

Le chat mezza-voce fait macache dans les miches, je trouverai le ronron à sonnette qu’il a avalé !
Ya grabuge, comme un Rubicon dans l’aorte, où sont passés les miaous ?
Pauvre chat tu n’iras plus au chamboule-tout !

Dites, n’auriez pas vu passer l’heure du thé ?

Cycliste prends ta selle et serre les fesses, pommade ! pommade !
La messe est dite alea jacta fesse
Dis pédaleux ne vois-tu rien venir ? Même pas une grimpette ? Parce que tout ça au mieux c’est du bruit, des tripotis...

J’pédalerai plus jamais pour les autres.
(…)


Laurent Roux


(Le dernier texte a été envoyé par mail de Marrakech, le vendredi 10 août 2001. Laurent Roux a été retrouvé pendu le mercredi 15 août. Il avait tapissé les murs de sa chambre des feuillets du récit dont nous donnons ici une retranscription fidèle.)

Photographie : Jean-Luc Bertini