Enrique Vila-Matas
Entretien avec Enrique Vila-Matas réalisé en juin 2005 (extrait) Dans Mastroianni-sur-Mer, on trouve une partie intitulée « Après Bartleby et Compagnie », peut-on dire que ce livre représente un tournant dans votre œuvre ? Je ne m’attendais pas à ce que Bartleby et compagnie
ait une telle répercussion. Un écrivain espagnol qui
dirigeait un cours sur « réalité et fiction » à Santander
m’a demandé pour une conférence d’expliquer
comment j’avais écrit ce livre. Je me suis alors rendu
compte que je ne savais l’expliquer, que j’avais écrit
ce roman de façon inconsciente et avec bonheur, par ailleurs,
puisque beaucoup de lecteurs se sont identifiés au thème.
J’ai donc réutilisé la structure de Bartleby pour
la conférence. Cette structure est une bonne trouvaille qui
m’offre plus de liberté. Elle permet de réunir
les fragments, d’incorporer tout ce que l’on veut autour
d’un axe central. Quand je racontais une histoire, j’étais à l’étroit
et je ne m’amusais pas avec des codes usés. J’ai
préféré rechercher de nouvelles formes au risque
d’échouer. Dans cette œuvre, peut-être ai-je pris trop de libertés
car sa structure ne ressemble à celle d’aucun livre. C’est évident
qu’on ne peut répéter cette structure. Je pensais
que ce serait un désastre pour les lecteurs car cela a donné quelque
chose de très étrange. Même le thème me
semblait un peu fou : ce personnage quichottesque qui assume l’histoire
entière de la littérature en lui-même… Cependant,
il semble que cela ait intéressé les gens qui aiment
vraiment la littérature. De façon surprenante, il a eu
pas mal de lecteurs en France, peut-être à cause du prix
Médicis. Et en Espagne, où on lit moins qu’en France,
il a quand même assez bien marché parce qu’on l’a
vu comme un bastion de résistance à l’invasion
de best-sellers et de frivolité. C’est le livre où j’ai
pris le plus de risques. Il n’y a pas en Espagne de tradition
culturelle puissante quant à la lecture et encore moins une
tradition de réflexion sur ce qu’est la littérature.
En France, une référence à Maurice Blanchot dans
un entretien est normale, en Espagne, excepté dix personnes,
nul ne sait qui il est. Je suis barcelonais, catalan non nationaliste,
j’appartiens à une culture plus européenne que
celle de Madrid. J’ai toujours regardé au-delà des
Pyrénées, vers la France, l’Angleterre, l’Allemagne,
détestant la péninsule. Bien que j’aie beaucoup
d’amis à Madrid, cela reste l’endroit où était
Franco. Encore aujourd’hui, quand j’y vais, je ressens
parfois de la peur, car le paysage visuel n’est pas encore démocratique. (...) Retrouvez l'intégralité de cet entretien (10 pages) en commandant le numéro 25 de La Femelle du Requin !
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