Enrique Vila-Matas

Enrique Vila-Matas
Photographie : Jean-Luc Bertini


J'arrive toujours après

Entretien avec Enrique Vila-Matas réalisé en juin 2005 (extrait)


Votre dernier livre, Mastroianni-sur-Mer (à paraître en octobre) sort aux Éditions du Passage du Nord/Ouest. Pouvez-vous nous parler de vos relations avec celles-ci ?

J’ai connu Pierre-Olivier Sanchez à Nantes durant un congrès sur l’Espagne et les personnes qui apprenaient à être éditeurs. Ce fut un contact rapide, je lui ai donné les noms de divers écrivains latino-américains inconnus en France. Peu de temps après, sa maison d’édition est apparue avec certains des auteurs que je leur avais recommandés. La Lecture assassine, mon premier livre était libre de droits, cela a commencé ainsi. Je me réjouis du succès de ces éditions. Leur catalogue d’auteurs hispanophones est impeccable. Je crois qu’ils suivent l’orbite et le modèle de José Corti et de Christian Bourgois, éditeurs si prestigieux. Ils sont sur le bon chemin. Je me consacre surtout à l’écriture, mais je n’aime pas les puissants et si je peux aider une petite maison d’édition ou une librairie, je le fais. Cela fait partie de ma vocation littéraire.

Dans Mastroianni-sur-Mer, on trouve une partie intitulée « Après Bartleby et Compagnie », peut-on dire que ce livre représente un tournant dans votre œuvre ?

Je ne m’attendais pas à ce que Bartleby et compagnie ait une telle répercussion. Un écrivain espagnol qui dirigeait un cours sur « réalité et fiction » à Santander m’a demandé pour une conférence d’expliquer comment j’avais écrit ce livre. Je me suis alors rendu compte que je ne savais l’expliquer, que j’avais écrit ce roman de façon inconsciente et avec bonheur, par ailleurs, puisque beaucoup de lecteurs se sont identifiés au thème. J’ai donc réutilisé la structure de Bartleby pour la conférence. Cette structure est une bonne trouvaille qui m’offre plus de liberté. Elle permet de réunir les fragments, d’incorporer tout ce que l’on veut autour d’un axe central. Quand je racontais une histoire, j’étais à l’étroit et je ne m’amusais pas avec des codes usés. J’ai préféré rechercher de nouvelles formes au risque d’échouer.

Vous avez poursuivi cette recherche avec Le Mal de Montano ?

Dans cette œuvre, peut-être ai-je pris trop de libertés car sa structure ne ressemble à celle d’aucun livre. C’est évident qu’on ne peut répéter cette structure. Je pensais que ce serait un désastre pour les lecteurs car cela a donné quelque chose de très étrange. Même le thème me semblait un peu fou : ce personnage quichottesque qui assume l’histoire entière de la littérature en lui-même… Cependant, il semble que cela ait intéressé les gens qui aiment vraiment la littérature. De façon surprenante, il a eu pas mal de lecteurs en France, peut-être à cause du prix Médicis. Et en Espagne, où on lit moins qu’en France, il a quand même assez bien marché parce qu’on l’a vu comme un bastion de résistance à l’invasion de best-sellers et de frivolité. C’est le livre où j’ai pris le plus de risques. Il n’y a pas en Espagne de tradition culturelle puissante quant à la lecture et encore moins une tradition de réflexion sur ce qu’est la littérature. En France, une référence à Maurice Blanchot dans un entretien est normale, en Espagne, excepté dix personnes, nul ne sait qui il est. Je suis barcelonais, catalan non nationaliste, j’appartiens à une culture plus européenne que celle de Madrid. J’ai toujours regardé au-delà des Pyrénées, vers la France, l’Angleterre, l’Allemagne, détestant la péninsule. Bien que j’aie beaucoup d’amis à Madrid, cela reste l’endroit où était Franco. Encore aujourd’hui, quand j’y vais, je ressens parfois de la peur, car le paysage visuel n’est pas encore démocratique.
Je me sens exilé à Barcelone parce que je ne suis pas accepté comme écrivain catalan et je me sens exilé à Madrid parce que je suis un écrivain catalan. Par conséquent je suis dans une situation idéale pour mon type de littérature : étranger partout.

(...)

Retrouvez l'intégralité de cet entretien (10 pages) en commandant le numéro 25 de La Femelle du Requin !


Propos recueillis le 16 juin 2005 à Paris
par Christian Casaubon, Sylvain Nicolino et Laurent Roux.